Microcosme éthique
"Gloire à qui n'ayant pas d'idéal sacro-saint
Se borne à ne pas trop emmerder ses voisins (...)"
A vouloir peindre sans fard la triviale réalité de notre petit univers de pêcheurs à ligne, lorsque l'on s'imagine assurément loin de faire partie des meilleurs mais qu'on s'enorgueillit, avec une présomption téméraire,de ne pas se compter parmi les pires, on finit toujours par se heurter à la plate sottise, l'égocentrisme désolant ou la virulence débridée d'individus au cerveau mal irrigué, trop souvent persuadés que le Monde n'attendait que leur naissance pour devenir un endroit agréable à vivre selon leurs brillants préceptes... Malthus avait raison : faut apprendre à vivre avec les cons tant qu'on a pas d'armes nucléaires à disposition...Je le cite de mémoire^^...C'est une fatalité à laquelle on ne peut que se résigner à moins d'avoir une tendance avérée à l'homicide de masse. Vous me direz qu'on peut toujours la tenter pédagogue, essayer de changer le cours de l'histoire par le dialogue, convaincre les inconvenants grâce à la subtilité de raisonnements finement ciselés. Ouais. Bon. O.K... Quand on connaît l'abyssal niveau de l'interlocuteur moyen, ce démiurge productiviste de récurrentes Saint-Barthélémy de la syntaxe, capable de se livrer sans efforts apparents à d'innombrables Bérézina de l'orthographe et qui, conduisant tous les jours au ravin le Bus de Knysna de la rhétorique, nous prouve sans échappatoire que les tentatives d'édification de ce style de demeurés ne nous sont, au fond, qu' autant d'occasions offertes pour tester la fiabilité de notre stoïcisme, la progression de notre ulcère et l'efficacité de nos anti-dépresseurs....
En effet, une des constantes comportementales du pêcheur à la ligne est qu'il est intimement convaincu d'être toujours meilleur que le voisin. Il n'y a que lui qui sait, qui fait, bref, les autres pêcheurs misérables créatures à peine dignes d'attention, bloquées sur l'échelle de l'évolution entre le protozoaire et le militant ; trotskiste ;, qui, non contentes d'être des challengers d'un niveau minable, ne méritent dans l'absolu que de survivre pour faire fonction de faire-valoir mal dégrossi, voire de fan-club énamouré... Quand, d'aventure, le dit-voisin prend plus de poissons ou, injure suprême, un poisson plus gros que les siens, notre pêcheur invoque la chance, le hasard ou un quelconque facteur n'ayant rien à voir du tout avec le talent intrinsèquement dévolu au moindre de ses gestes à lui... Reconnaître des qualités aux autres ? Jamais, plutôt douiller !!! J'ai déjà évoqué, plus que nécessaire, en ces pages les Gilgamesh du publi-reportage, les Centaures provinciaux prodigues en pêches oniriques ou les consternants Rastignac résolus à des veuleries dignes d'un VRP formé chez Bygmalion pour avoir leur trombine dans le journal... Quand la vacuité épouse la fatuité, à trop se pencher sur ces comportements, on finit la tête dans un étau...Logique^^...
Un autre aspect désopilant de la vie publique du pêcheur dit moderne, actif sur les réseaux sociaux et donc avide d'apporter à un monde, jusque là plongé dans les ténèbres de l'ignorance, les lumières aveuglantes de son intellect, reste son penchant prononcé pour les termes savants saupoudrés au gré de raisonnements laborieux... Parmi ces termes éminemment galvaudés par nos Captain Caverne du sophisme halieutique, je retiendrais tout particulièrement "l'éthique"... "L’éthique (du grec ηθική [επιστήμη], « la science morale », de ήθος (« ethos »), « lieu de vie ; habitude, mœurs ; caractère, état de l'âme, disposition psychique » et du latin ethicus, la morale1) est une discipline philosophique pratique (action) et normative (règles) dans un milieu naturel et humain. Elle se donne pour but d'indiquer comment les êtres humains doivent se comporter, agir et être, entre eux et envers ce qui les entoure." nous apprend, en son infinie sagesse, wikipédia qui est un peu, de nos jours, l'équivalent de la Pythie de Delphes, les hallucinogènes en moins^^...
"Elle se donne pour but d'indiquer comment les êtres humains doivent se comporter, agir et être, entre eux et envers ce qui les entoure"... Bon courage. Je crois que la Sainte Inquisition, la Tchéka ou même l'éducation nationale ont déjà essayé d'atteindre cet objectif , chacune avec ses petites recettes, sans rencontrer, malgré des réussites ponctuelles, le succès dans la constance... Dans notre système social contemporain, pitoyable agrégat d'égoïsmes, où la seule volonté de puissance accessible au vulgaire est d'écraser la gueule de son voisin pour un ticket resto supplémentaire, avant de se faire, implacablement, à son tour, ratatiner la sienne, là où le fantasme prolétarien de réussite se limite au triptyque pavillon Mikit/Barbecue/Berger allemand pour protéger tout ça, l'éthique, en tant que morale collective, n'est qu'un concept creux pour sinistrés du cognitif, un mantra pour indécrottables adulescents , bref, le dernier argument expiatoire des losers... Seul le résultat prime. Quels que soient les moyens à employer pour y parvenir. C'est sans doute cynique mais allez donc expliquer au Medef, au Hamas ou à un agent de footballeur que l'éthique, c'est cool...
Adopter un comportement conforme à une éthique, quelle qu'elle soit, n'est, de toute façon qu'une démarche individuelle, nécessairement soumise à interprétations et pleine de contradictions, tout spécialement lorsqu'elle concerne la pêche à ligne ; domaine philosophique relativement mineur, certes, mais qui reste bon an mal an le principal objet de ce blog. Trouver commode de défoncer la gueule d'un poisson à coups de fishgrip ou de l'y laisser pendouiller 20 minutes pour le mitrailler de clichés, pêcher les nids ou camper au bord de bassines privées pour remplir sa page facebook sont pour la plupart de nos fins lettrés des actes considérés comme fondamentalement immoraux et susceptibles de recevoir des châtiments exemplaires...Enfin...Surtout quand ce sont les autres qui s'y livrent...Fin de l'aparté..L'éthique, transcrite en actes, n'a rien à voir avec une discipline intraitable fondée sur un règlement gravé dans le marbre, assorti d'une coercition immanente. Nul n'est parfait dans Sa pratique. Les gueules de perches se déchirent, le chevesne finit parfois par terre, les branchies du brochet restent de temps en temps à jouer les guirlandes sur une branche du triple, etc...Malheureusement, c'est aussi ça, la pêche...La perfection n'existe que lorsque on la décrit avec une emphase croustillante en tapant sur son clavier de PC. On ne peut, d'autre part, passer sous silence, sans verser dans la langue de bois, l'ignoble propension du pêcheur se voulant d'élite, raisonné, voire raisonneur en mode tambour tournant dans le vide, à sempiternellement vouloir se mesurer la zigounette avec le concurrent ou le contradicteur... Quand la testostérone supplante le neurone...
Bref, le pêcheur, dès qu'il sort de la simple pratique halieutique, en se présentant comme le porte-parole éclairé d'une avant-garde sans défauts, se voit un peu trop vite comme le chef des bonobos. Et cela, d'autant plus que l'écart est important entre son cervelet format petit pois et sa boite crânienne melonisée aux proportion d'une montgolfière atteinte d'aérophagie chronique...De ce fait, l'éthique est trop souvent considérée, par certains de ces valeureux primates, comme un alibi sur mesure pour d'une part s'arroger à peu de frais une once de supériorité morale légèrement hors de propos et de l'autre, s'immiscer dans la pratique d'autrui, avec une régularité dans l'outrecuidance dictatoriale qui constitue assurément la marque infalsifiable des crétins d'élite... Ce qui donne, avec une régularité mécanique, lieu sur internet à des sommets dans l'art de la rhétorique.
On en revient toujours aux fondamentaux, comme le disait Aimé Jacquet, dans son folklorique patois ayant échappé au formalisme académique des orthophonistes jacobins. Comment empêcher les cons de mettre à profit leur latitude à proférer des conneries, tout en sachant très bien qu'ils peuvent à tout moment passer de la parole aux actes ? Cette question résume à elle seule la condition humaine. Quoi que l'on fasse, on se heurtera toujours à la mauvaise foi des uns, au messianisme niais des autres et surtout au bon vieux réflexe qui consiste à faire passer sa gueule avant celle des autres... Bref, coercition ou persuasion ne sont plus que les deux mamelles flétries de notre vache de société. Mettre préventivement un flic dispendieux de la matraque derrière chaque citoyen ou brandir, comme un talisman réchappé de Woodstock, le postulat que tout être humain est capable d'être responsable, c'est nier la terrible évidence. On débouchera toujours sur une impasse, consacrant l'impossibilité de jouer un coup supplémentaire sur l'échiquier du possible, qu'il soit soit légal ou tout simplement utile...On en arrive au Pat-éthique^^.
Ne m'en veuillez pas trop si, par excès de zèle, j'en arrive à conclure ces pages par un apophtegme des plus explicites quant à la considération que j'ai pour les inquisiteurs au petit pied, les ayatollahs du rapala et autres censeurs en culottes courtes: « Le respect du droit d’autrui — aussi bien chez les individus que parmi les nations — est la paix. » Benito Juarez, 1806-1872, président du Mexique.